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Tous les corps qui naissent et péris­sent ne sont sujets à la cor­rup­tion que du côté de leur matière seule ; du côté de la forme et en consi­dé­rant la forme en elle-même, ils ne sont point sujets à la cor­rup­tion, mais sont per­ma­nents. Tu vois, en effet, que toutes les formes spé­ci­fiques sont per­pé­tuelles et per­ma­nentes ; la cor­rup­tion n’atteint la forme qu’accidentellement, je veux dire en tant qu’elle est jointe à la matière. Il est dans la véri­table nature de la matière que celle-ci ne cesse jamais d’être asso­ciée à la pri­va­tion ; c’est pour­quoi elle ne conserve aucune forme [indi­vi­duelle], et elle ne dis­con­ti­nue pas de se dépouiller d’une forme pour revê­tir une autre.
Salomon, donc, dans sa sagesse, s’est expri­mé d’une manière bien remar­quable en com­pa­rant la matière à une femme adul­tère ; car la matière, ne pou­vant, en aucune façon, exis­ter sans forme, est tou­jours comme une femme mariée, qui n’est jamais déga­gée des liens du mari et qui ne se trouve jamais libre. Mais la femme infi­dèle, quoique mariée, cherche sans cesse un autre homme pour le prendre à la place de son mari, et elle emploie toutes sortes de ruses pour l’attirer, jusqu’à ce qu’il obtienne d’elle ce qu’obtenait son mari. Et c’est là aus­si la condi­tion de la matière ; car, quelle que soit la forme qu’elle pos­sède, celle-ci ne fait que la pré­pa­rer pour la récep­tion d’une autre forme, et elle [la matière] ne cesse de se mou­voir pour se dépouiller de la forme qu’elle pos­sède et pour en obte­nir une autre. Quand elle l’a obte­nue, c’est encore la même chose.

Le Guide des éga­rés [מורה נבוכים ; دلالة الحائرين 1190]
t. 3
chap. 8
de l’a­rabe par Salomon Munk (1856–1866), nou­velle édi­tion revue et mis à jour sous la dir. de René Lévy, avec la coll. de Maroun Aouad
Verdier 2012
p. 844–845
adultère comparaison femme hylémorphisme mariage matière métaphore misogynie privation