Je ne suis et tu n’es, dans les vastes flux des choses, qu’un point d’arrêt favorable au rejaillissement. Ne tarde pas à prendre une exacte conscience de cette position angoissante : s’il t’arrivait de t’attacher à des buts enfermés dans ces limites où personne n’est en jeu que toi, ta vie serait celle du grand nombre, elle serait privée de merveilleux. Un court moment d’arrêt : le complexe, le doux, le violent mouvement des mondes se fera de ta mort une écume éclaboussante. Les gloires, la merveille de ta vie tiennent à ce rejaillissement du flot qui ne nouait en toi dans…
D’une particule simple à l’autre, il n’y a pas de différence de nature, il n’y a pas non plus de différence entre celle-ci et celle-là. Il y a de ceci qui se produit ici ou la, chaque fois sous forme d’unité, mais cette unité ne persévère pas en elle-même. Des ondes, des vagues, des particules simples ne sont peut-être que les multiples mouvements d’un élément homogène ; elles ne possèdent que l’unité fuyante et ne brisent pas l’homogénéité de l’ensemble. Les groupes composés de nombreuses particules simples possèdent seuls ce caractère hétérogène qui me différencie de toi et isole nos différences…
L’érotisme est, je crois, l’approbation de la vie jusque dans la mort. La sexualité implique la mort, non seulement dans le sens où les nouveaux venus prolongent et remplacent les disparus, mais parce qu’elle met en jeu la vie de l’être qui se reproduit. Se reproduire est disparaître, et les êtres asexués les plus simples se subtilisent en se reproduisant. Ils ne meurent pas, si, par la mort, on entend le passage de la vie à la décomposition, mais celui qui était, se reproduisant, cesse d’être celui qu’il était (puisqu’il devient double). La mort individuelle n’est qu’un aspect de l’excès…
…D’une particule simple à l’autre, il n’y a pas de différence de nature, il n’y a pas non plus de différence entre celle-ci et celle-là. Il y a de ceci qui se produit ici ou là, chaque fois sous forme d’unité, mais cette unité ne persévère pas en elle-même. Des ondes, des vagues, des particules simples ne sont peut-être que les multiples mouvements d’un élément homogène ; elles ne possèdent que l’unité fuyante et ne brisent pas l’homogénéité de l’ensemble. Les groupes composés de nombreuses particules simples possèdent seuls ce caractère hétérogène qui me différencie de toi et isole nos différences dans le…
L’amour de la nature est d’ailleurs si susceptible d’accord avec le primat de l’utile, c’est-à-dire du lendemain, qu’il a été le mode de compensation le plus répandu – le plus anodin – des sociétés utilisatrices : rien évidemment de moins dangereux, de moins subversif, à la fin de moins sauvage, que la sauvagerie des rochers. Georges Bataille L’expérience intérieure Galliamrd 1943 fr…
À la base d’une vertu est le pouvoir que nous avons d’en briser la chaîne. L’enseignement traditionnel a méconnu ce ressort secret de la morale : l’idée de la morale en est affadie. Du côté de la vertu, la vie morale a l’aspect d’un conformisme peureux ; de l’autre, le dédain de la fadeur est tenu pour immoralité. L’enseignement traditionnel exige en vain une rigueur de surface, faite de formalisme logique : il tourne le dos à l’esprit de la rigueur. Nietzsche dénonçant la morale enseignée pensait ne pas survivre à un crime qu’il aurait commis. S’il y a morale authentique, son existence…
La misère de la tradition est de s’appuyer sur la faiblesse, qui engage le souci de l’avenir. Le souci de l’avenir exalte l’avarice ; il condamne l’imprévoyance, gaspille. La faiblesse prévoyante s’oppose au principe de la jouissance de l’instant présent. La morale traditionnelle s’accorde avec l’avarice, elle voit dans la préférence pour la jouissance immédiate la racine du Mal. La morale avare fonde l’entente de la justice et de la police. Si je préfère la jouissance, je déteste la répression. Georges Bataille La littérature et le mal Gallimard Folio 2013 1957 106–107 0…
L’angoisse, évidemment, ne s’apprend pas. On la provoquerait ? C’est possible : je n’y crois guère. On peut en agiter la lie… Si quelqu’un avoue de l’angoisse, il faut montrer le néant de ses raisons. Il imagine l’issue de ses tourments : s’il avait plus d’argent, une femme, une autre vie… La niaiserie de l’angoisse est infinie. Au lieu d’aller à la profondeur de son angoisse, l’anxieux babille, se dégrade et fuit. Pourtant l’angoisse était sa chance : il fut choisi dans la mesure de ses pressentiments. Mais quel gâchis s’il élude : il souffre autant et s’humilie, il devient bête, faux, superficiel. L’angoisse éludée…
La forme poétique, titanique, de l’individualisme est au calcul utilitaire une réponse excessive, mais une réponse : sous sa forme consacrée, le romantisme ne fut guère qu’une allure antibourgeoise de l’individualisme bourgeois. Georges Bataille La littérature et le mal Gallimard Folio 2013 1957 45 0…
Inutile de dire à quel degré il est vain (bien que la philosophie se ferme dans cette impasse) d’imaginer un jeu pur de l’intelligence sans angoisse. Georges Bataille L’expérience intérieure Gallimard 1943 fr…
De la naissance à la mort de Charles Baudelaire, l’Europe s’engagea dans un réseau de voies ferrées, la production ouvrir la perspective d’un accroissement indéfini des forces productives et se donna cet accroissement pour fin. L’opération préparée depuis longtemps commençait une métamorphose rapide du monde civilisé, fondée sur le primat du lendemain, à savoir sur l’accumulation capitaliste. Georges Bataille La littérature et le mal Gallimard Folio 2013 1957 44 0…
Il n’est pas de signe plus parlant de la fête que la démolition insurrectionnelle d’une prison : la fête, qui n’est pas si elle n’est souveraine, est le déchaînement par essence, d’où la souveraineté inflexible procède. Georges Bataille La littérature et le mal Gallimard Folio 2013 1957 79 0…