Dans la phase de transition de la domination formelle à la domination réelle du capital, on distinguera deux séries de médiations, entrecroisées mais distinctes. Dans le premier ordre, exclusivement économico-politique, du capital (domination formelle), il ne pouvait être question de contre-révolution : le prolétariat, en tant que classe, incubait la croissance d’un élan directement dirigé vers la négation des conditions matérielles de son existence, donc immédiatement révolutionnaire. Le prolétariat comme masse, et une élite d’intellectuels déserteurs de la bourgeoise dominante (mais non, comme on le verra, de sa culture illuministe) concourraient à faire mûrir une conscience de classe destinée à exprimer…
65. L’anthropomorphose du capital déplace l’axe de la valorisation de la production quantifiée de marchandises à la production quantifiée de valeur-homme. L’équilibre valorisation/dévalorisation, et l’équilibre espèce/ planète, peut être compris comme un but que seul peut atteindre un capital-homme qui, tandis qu’il a fait de chacun l’entrepreneur de sa propre valorisation, efface fictivement de son mode d’être la quantification extériorisée pour la reproduire, à un niveau supérieur de mystification, à l’intérieur de la valorisation de l’Ego. Ce ne sont pas tant les quantités de « biens » de consommation et de « statuts-symboliques » dans lesquels chacun a été sollicité jusqu’ici à se dévaloriser…
La quantité est le règne exclusif de la valorisation qui consiste en ceci : la production de qualités apparentes au sommet desquelles gît toujours une quantité de travail donnée. Depuis que le capital se limitait à vanter la qualité de ses marchandises, il est passé tout le temps nécessaire pour emprisonner totalement chaque forme de vie dans la forme marchandise, de telle sorte qu’aujourd’hui on peut discuter de la « qualité de la vie » après que derrière toute « vie » produite gise une quantité de travail donnée, de vie dévalorisée. Ceci est la nouvelle conquête du capital anthropomorphe : avoir colonisé pour la valeur…
La participation militante au référendum trace la ligne de démarcation à l’intérieur de « l’extrême-gauche ». C’est ici le lieu d’un premier règlement de compte : tandis que Lotta continua, Avanguardia Operaia et autres s’alignent sur la « politique » institutionnelle dans la mystification de la mystification et parlent de « victoire prolétarienne » cherchant ainsi à occuper le vide historique déjà occupé par le PCI (l’opposition fictive) les Brigades rouges et autres font irruption sur le marché en tant qu’opposition créditrice de la future opposition réelle, pour l’« alternative » dans la gestion de l’existant au nom de l’idéologie du contre-pouvoir (préliminaire à la « dictature du prolétariat »).…
Il n’existe pas de comportement ou de ligne de conduite qui ne se définissent comme révolutionnaires en soi. Dès que cette pure stylisation de la conflictualité s’établit et qu’elle devient donc « réalisation de l’art », tout comportement, toute ligne de conduite va s’arranger pour présenter l’événement comme un de ses accidents particuliers. Giorgio Cesarano Gianni Collu Apocalypse et révolution 8 La dialectique réelle Lucien Laugier La Tempête 2020 190 121…
Les modes selon lesquels se produisent, dans l’histoire, les communautés sociales ont fait fonctionner l’économie politique de la « personne » dans des connexions de subordination pseudo-naturelle avec l’économie globale chaque fois en vigueur. Le pouvoir politique, le pouvoir religieux, le pouvoir culturel ont enrôlé la personne à leur service pour ce qu’elle était : la représentante « officielle » d’une corporéité dont la force était nécessaire au pouvoir, mais « naturellement » médiatisée par la liberté d’apparaître sous le masque d’un rôle social. Il suffisait aux pouvoirs de s’assurer l’intégration à la communauté de l’énergie vitale des corps, et il leur était facile de l’assurer au…
À bas la production de marchandises inutiles et trop rapidement périssables, à bas la croissance incontrôlée de nouvelles entreprises, à bas la dévalorisation accélérée, à bas l’extraction insensée d’énergie naturelle en voie d’épuisement, à bas l’industrialisation concentrée en quelques nations, à bas la production polluante, à bas l’exploitation déséquilibrée de la terre ; mais surtout il faut expulser de la vie de l’homme-capital le travail producteur seulement de marchandise. Ceci est la quintessence des recommandations qui concluent le rapport du MIT, et ceci est le sens explicite des suggestions de Mansholt. Mais si le capital renonce à se surproduire, s’il déconsacre…
Plus grise, plus misérable, plus répétitive, plus dégradante, plus vide était la vie de chacun et plus le film de l’aventure était rutilant de sens séquestré, exclusif, sublimant, débordant. Il suffit de circonscrire les fragments d’une vie quelconque, dans la mosaïque qui en expurge la tristesse d’être authentiquement non vécue, pour saisir d’un seul coup toutes les qualifications avec l’absence desquelles elle est constituée. Ceci est la leçon que le capital à visage humain veut apprendre de l’art, pour la transfuser immédiatement dans le corps emprisonné derrière ce visage. Que chacun soit l’entrepreneur d’une transcendance généralisée. Que chacun saisisse son…
Le capital parvenu à la domination réelle de toute forme de production et de reproduction de l’existant résume en lui l’histoire entière des sociétés de classe et, débordant la sphère spécifique de l’économie politique, soumet à sa propre valorisation devenue autonome toutes les sphères autrefois séparées de l’être individuel et social devenu en totalité le produit de son organisation. Le capital aujourd’hui dominant se définit par son caractère fictif : l’essence virtuelle et créditrice de toute « propriété ». « Dans le crédit, à la place du métal et du papier c’est l’homme lui-même qui devient l’intermédiaire de l’échange, non certes comme homme mais…
Personne n’a l’exclusivité du malheur ; aucun hasard causal n’est à la racine d’une péripétie singulière. C’est au contraire, la privation, organisée sur une échelle sociale, de toute aventure concrète et subjective qui déterminé a priori les malchances de chacun. Les infortunes de la passion ne prennent pas leur source ailleurs que dans l’impossibilité universellement sanctionnée, de vivre la qualité de se passionner. Le poison qui intoxique toute volonté de s’affirmer, de s’affirmer comme qualité en être vis-à-vis de la quantité en procès – et qui la fait ressembler à un rêve démesuré, destiné par force à se renverser en un…
Défonçant le mur d’une subjectivité déjà emprisonnée par l’histoire, l’économie politique déborde à l’intérieur de chaque être ; rapidement elle comble tout vide, en le cachant tout simplement. Au moment où l’identique se reproduit de façon homogène, il perd les traits de la prison qu’il a toujours été, et prends les traits de l’entreprise capitaliste. Chaque entreprise productive est un hôtel des monnaies depuis que l’argent s’est transsubstantialisé en crédit, et le capital fictif valorisé grâce au « bon » renom de l’entreprise. Chaque entreprise frappe sa monnaie inexistante ; on lit par transparence, au-delà de la façade, l’addition truquée de son château d’escompte.…
Tout rapport humain est donc une partie jouée « pour l’argent » (en vue d’obtenir valeur symbolique) et, comme toute partie, ou bien survient concrètement dans un tripot, un cercle, une secte, une initiation, une ambiance de conjurés, une mafia, une maçonnerie, ou en évoque fortement l’image. La force de la partie est dans la règle qui la régit. Pour cette raison, sur tout jeu règne, comme étant son sens, la règle qui le régit, et pour cette raison tout rapport humain est non seulement une représentation, c’est-à-dire une transcription de symboles, non seulement il comporte un appât symbolique et une liturgie…
Aucune théorisation de couverture ne peut rendre à la subversion moderne, armée contre la domination trans-économique du capital, les formes historicisées de la violence, expression en droite ligne de la critique de l’économie politique. Nous ne sommes pas les héritiers des « révolutions vaincues ». Notre subversion se déclenche à partir d’une discontinuité. La rupture avec le passé, qui en combat toute survie dans le présent, ne rachète qu’ainsi celles de ses visées qui ne sont pas mortes. Nous ne parlons pas par la voix des morts : ils ne peuvent plus faire mieux qu’ils n’ont fait. Nous ne les reconnaîtrons jamais mieux…
La critique qui se laisse annihiler par sa précarité se reproduisant, face aux dimensions définitives de l’affrontement, préfère se liquider : elle se contente désormais d’énoncer ce minimum que tout individu radical connaît comme la condition d’insuffisance que combat son désir de saisir sa vérité : « le dépassement de la politique ne laisse pas derrière lui un vide mais le développement pratique de la critique qui est entièrement à découvrir. » La révolution est alors « ce dont on ne saurait parler » : fait brut par excellence, scotomisation parfaite de ce qui, inexprimable, ne pourra manquer de se révéler mystiquement aux néo-adventistes de la vraie…
71. Concentre-toi : tu seras la valeur. Après que, durant tout le temps nécessaire à vider les hommes d’eux-mêmes, le règne des choses s’est approprié leur essence, maintenant que le règne des choses se décompose et pourrit, il ne reste plus qu’à ramener ce fumier dans l’enveloppe de la « personne ». On ne demandera plus à personne de se renier comme personne pour se dépenser en tant que quantité d’énergie : au contraire, on demandera à chacun de se produire énergiquement comme quantité personnifiée de valeur. Sobriété dans les choses extérieures, richesse dans l’intériorité faite chose. Mansholt signale l’habillement spartiate, mais coloré, des…
Le choix faussement qualitatif du conspirateur qui en poussant ce dernier à « fuir » la condition commune du non-vécu pour se construire une image fantasmatique de « héros » d’« avant-gardiste », de « nouveau résistant » non seulement surgèle, en se cristallisant, la passion latente mais transforme religieusement le sens vivant en un « signifié » liturgique, en symbologie. La vraie révolution sera toujours pour après sa mort : salut chrétien. Et les « masses » et le « peuple », les « majorités » rêvées, auxquelles la personnalité du conspirateur (devenue de façon ambiguë, d’autant plus clandestine qu’elle est plus affichée) s’adresse en tant que message publicitaire électrisant, devraient οu se mettre, fascinées,…
Il ne s’agit pas d’être d’impuissants pacifistes ou des clowns, fils des fleurs, il s’agit de savoir où commence et où se poursuit le véritable combat. Exactement là où commence, et où s’achèvera la production de soi comme figure, la gestion de soi comme entité autonome de valorisation intériorisée, la marchandisation des rapports humains dans la collusion sanctionnée par l’échange inauthentique. Giorgio Cesarano Gianni Collu Apocalypse et révolution 5 L’art de vivre Lucien Laugier La Tempête 2020 Invariance, année IX, série III, n°2 et 3, 1976–1977 125 69…
Démasqué comme gestionnaire de la mort, le capital répond en se confessant ; mais immédiatement avare de tout geste et de tout être, il s’affirme comme mort repentie, il se désigne comme unique force capable de se dépasser ; initié à la dialectique, il domestique le règne de la logique, ne craignant pas de se poser comme ce paradoxe : être le défenseur d’autant plus résolu de la survie qu’il a plus puissamment produit la destruction ; être reconnu le gestionnaire le plus accrédité du sauvetage qu’il a été l’artisan le plus dénoncé du désastre. Giorgio Cesarano Gianni Collu Apocalypse et révolution 6 Contra…