S’il n’y a pas de « cohérence » ni d’ « incohérence » dans l’activité pulsionnelle — mais que l’on puisse en parler, c’est grâce à cette autre force pulsionnelle qu’est aussi l’intellect. Il y a désormais une cohérence de l’impulsion et du suppôt dont le suppôt admet qu’il est lui-même la fin , en tant qu’il subit la contrainte de cette impulsion. Et il y a, d’autre part, une cohérence entre le suppôt et cette autre impulsion qu’est l’ intellect , en tant qu’elle assure la cohérence du suppôt en tant que suppôt . Entre sa propre cohérence ainsi assurée et la cohérence…
Le mot, dès qu’il signifie une émotion, la fait passer pour identique à l’émotion éprouvée, qui n’est forte qu’au moment où il n’y avait pas de mot. L’émotion signifiée, plus faible que l’émotion insignifiante. Ainsi, à chaque fois qu’intervient la désignation communicative dans un échange de paroles avec les autres (sujets), il y a décalage entre ce qui a été éprouvé et ce qui a été exprimé. Cette expérience détermine sciemment tout rapport de Nietzsche avec son entourage : ses amis ne réfléchissent pas sur la genèse émotionnelle d’une pensée. Et quand Nietzsche les invite à penser avec lui, c’est à…
Et en effet, ces abréviations de signes (les mots) valant pour la conscience comme uniques vestiges de sa continuité, c’est-à-dire inventés à partir d’une sphère où le « vrai » et le « faux » nécessitent la représentation erronée que quelque chose puisse durer, rester identique (donc qu’il puisse y avoir une concordance entre les signes inventés et ce qu’ils sont censés désigner) c’est pourquoi aussi les impulsions mêmes sont désormais signifiées à partir de l’ « unité » cohérente, sont comparées dans ce qu’elles ont de plus semblable ou de dissemblable par rapport à l’unité première : laquelle désormais est l’âme du suppôt ou sa conscience…
Ainsi la puissance à l’œuvre dans la propagation de l’espèce, considérée désormais en tant que suppôt unique de l’existence, aurait atteint à un état d’équilibre : en tant que celui-ci se vérifierait par la fixité de l’espèce. Mais (comme Nietzsche l’a démontré selon la théorie de l’énergie) la puissance répugne à tout état d’équilibre et le rompt par son augmentation : de même, en tant que propagation , excède-t-elle aussi l’espèce humaine, en tant que suppôt unique de l’ existence : et c’est en l’excédant que la puissance fait de l’espèce une monstruosité pullulante : à ce stade, l’espèce n’est plus maîtresse de…
La convalescence est le signal d’une nouvelle offensive du « corps » — du corps repensé — contre le « moi Nietzsche qui pense » : ainsi se prépare une nouvelle rechute : pour Nietzsche, jusqu’à la rechute finale, ces rechutes à chaque fois s’annoncent par une nouvelle investigation et un nouvel investissement du monde impulsionnel, et à chaque fois la maladie en est le prix de plus en plus élevé. A chaque fois, le corps se libère un peu plus de son propre suppôt, et ce suppôt à chaque fois s’affaiblit davantage : donc le cerveau voit de plus en plus se rapprocher les frontières qui…
Qu’est-ce donc qui exige que le suppôt même le plus lucide demeure inconscient de ce qui en deçà de lui-même se poursuit ? Par exemple, Nietzsche sait, pendant qu’il rédige ses notes sur les impulsions, que celles-ci agissent en lui, mais qu’il n’y a aucune concordance entre les observations qu’il transcrit et les impulsions qui aboutissent à les lui faire écrire. Mais s’il est conscient de ce qu’il écrit, en tant que le suppôt nommé Nietzsche, c’est parce qu’à l’instant même il sait non seulement qu’il ignore ce qui vient de se produire pour qu’il écrive, mais qu’il le lui faut…
Nietzsche ne dit pas que la pensée de l’Éternel Retour et de la préexistence qu’elle suppose achève à elle seule le fatalisme. Il dit qu’en second lieu c’est pour avoir éliminé le concept de volonté que son fatalisme est intégral. Si déjà la pensée de l’Éternel Retour dans ses prolongements abolit avec l’identité du moi le concept traditionnel du vouloir, Nietzsche semble, sous le second aspect de son fatalisme, faire allusion à sa propre physiologie. Selon celle-ci, il n’y a pas de vouloir qui n’en soit un de puissance et sous ce rapport la volonté n’est autre chose que l’impulsion…
De la sorte, en réalisant un aspect de son projet, l’industrialisme, aujourd’hui devenu une technique, forme exactement l’inverse de son postulat : ce n’est ni le triomphe des cas singuliers, ni le triomphe des médiocres, mais simplement une nouvelle forme totalement a‑morale de la grégarité — suppôt unique à définir l’existence : non pas le surhumain, mais la surgrégarité, — le Maître de la Terre. Pierre Klossowski Nietzsche et le cercle vicieux Mercure de France 1969…
Il semble qu’il n’y ait jamais de conscience ni d’inconscience — ni de vouloir ni de non-vouloir — mais que selon un système de fluctuations désignantes il n’y a dans le suppôt qu’une discontinuité de mutisme et de déclarations. Pour autant que l’extériorité est installée dans le suppôt par le code des signes quotidiens, le suppôt déclare ou se déclare à lui-même, pense, ne peut penser, se tait, ne peut se taire qu’en fonction de ce code. Lui-même pensant en est le produit. Or, il n’est tel suppôt pensant que selon le plus ou moins de résistance des forces impulsionnelles…
La cohérence, que le suppôt ressent entre un état impulsionnel et « lui-même », n’est jamais qu’une redistribution des forces pulsionnelles aux dépens de la cohérence du suppôt avec lui-même en tant qu’intellect. Pierre Klossowski Nietzsche et le cercle vicieux Mercure de France 1969…
Le sérieux ne réside pas ici dans la frénésie avec laquelle ce suppôt s’attache à son phantasme impulsionnel, mais dans la force irréductible avec laquelle les impulsions maintiennent le suppôt dans son phantasme, pour se manifester en le dévorant. Pierre Klossowski La monnaie vivante Losfeld 1970…
Le vouloir ne concerne que le suppôt . La puissance, qui appartient à la vie , au cosmos, — qui représente un degré de force accumulée et accumulante — entraîne le suppôt, suivant les hausses et les chutes . Donc là où il y aurait volonté de puissance, que le suppôt soit malade ou sain : s’il est malade, il cède à l’impulsion, s’il est sain, il cède à son trop-plein, mais il cède tout de même au mouvement d’une puissance qu’il confond avec son vouloir. Résister à des forces envahissantes non contrôlées n’est qu’une question d’interprétation — et relève toujours…
Au fur et à mesure que l’humanité cherche la consistance dans et par la seule conservation, elle tombe d’autant plus dans l’inconsistance : l’augmentation du nombre des suppôts de l’existence est proportionnelle à la diminution de la puissance de chacun. Si déjà la puissance est violence de l’absurde, tant s’en faut qu’au niveau de la grégarité elle trouve dans le suppôt individuel une signification quelconque de l’espèce : donc plus elle s’augmente, plus elle se perpétue pour rien. Car, dans son ensemble, elle ne saurait se comporter comme un suppôt unique de l’existence, qui rendrait compte de la singularité de chacun. Pierre…
Je suis malade dans un corps qui ne m’appartient pas : ma souffrance n’est qu’interprétation de la lutte des fonctions, impulsions asservies par l’organisme, devenues rivales : celles qui dépendent de moi contre celles qui m’échappent. A l’inverse, le suppôt physique de moi-même semble rejeter mes pensées qui ne lui assurent plus sa cohésion : pensées qui procèdent d’un état étranger ou contraire à celui qu’exige le suppôt physique, pourtant identique à moi-même.x Pierre Klossowski Nietzsche et le cercle vicieux Mercure de France 1969…
C’est une condition d’existence pour le suppôt que d’ignorer le combat même dont sa pensée résulte : ce n’est point cette unité vivante le « sujet », mais « le combat impulsionnel qui se veut maintenir ». Pierre Klossowski Nietzsche et le cercle vicieux Mercure de France 1969…