MAQUIS Les militaires pensent et agissent d’un coup. C’est : littérature. Ils ne nous donnent pas que des titres pratiques ou un lexique mais, en douce, des modèles tactiques, cependant que nous faisons nos découpages et nos collages avec fuck war. Cependant que nous faisons nos découpages et nos collages avec fuck war, nous pensons comme des militaires ou des avants-centres. D’autre part, il ne vaut pas mieux s’imaginer le football marocain porteur de traits typiquement marocains : n’allez pas vous imaginer des choses. N’allez pas vous imaginer des choses, disait Cervantès, disaient Patrice Lumumba et Jimmy Durham. Ici n’est pas le…
Qu’est-ce que l’entêtement ? C’est rester au soleil alors qu’on sent déjà le grésillement des brûlures. C’est manger encore un carré de chocolat alors que chocolat ne désigne plus qu’une pâte sucrée qui tapisse ma gorge. C’est déchirer un papier en pensant ainsi faire disparaître ce qui est écrit, ou mieux : faire en sorte que cela n’ait jamais été écrit. C’est ne pas se couvrir alors qu’il fait froid parce qu’on a décidé qu’il fait chaud. C’est forcer son chien à porter des lunettes de soleil dans le seul but de prendre une photo. C’est refuser d’organiser un pique-nique parce qu’on…
– Qu’est-ce qui fait un bon cours magistral, comme ici ? Je dirais que ce qui fait un bon cours magistral, c’est d’abord un climat d’hostilité. Si le public est d’avance conquis, si aucune distance ne se creuse entre ce qui sera dit et ce qu’on est dans l’attente d’en-tendre (et je ne parle pas là de surprise, je ne parle pas là d’offrande), alors nous demeurons dans la flatterie, flattons, c’est cette flatterie qui focalisera notre attention et non ce qu’elle dit (ou elle plus nettement que ce qu’elle dit). Ici, en ce moment, ce n’est pas l’empathie qu’il faut…
– Il arrive, il est là. – Il est en costume. – C’est un adulte. – Bien sûr. Dans cette institution, il n’y a que des adultes. – Vous m’étonnez. – Vous croyez que des gosse seraient capables de rester assis sept heures par jour ? – Vous avez raison, je n’y avais pas pensé. Donc il est en costume ; costume-costume ? – Légèrement relâché. Velours prune. Et une moumoute. – Une moumoute ? – Cheveux grisonnants qui frisottent, ce sont les siens. Il y a, dans sa coiffure, une façon d’authenticité social-démocrate. – Il y a une authenticité social-démocrate. Il y a,…
FAUX BARRAGE 16 : documentaire À partir d’un moment qu’on peut nommer X par un souci d’hommage à la prépondérance des sciences quel que soit le domaine référé à compté du moment X le documentaire gagne qui n’est pas la documentation le documentaire gagne défilent des séries de têtes d’anciens combattants tous assis d’anciens appelés rappelés figures historiques et fellags présentés en mouches d’un tract distribué montrant un fell-mouche, fell-sauterelle X arrive et tout soudain l’archive accable comble des groupes entiers de merci mon adjudant 0,5 % au regard de la guerre – je veux dire la guerre de 40 –…
Elle lévite, à demi couchée, dans une brume bleue ou un tissu bleu ou un tissu de brume, un bras brandi et mou à la fois, relâché mais puissant, placide. Le bras brandi découvre l’aisselle rouquine. C’est une rouquine. On dit vénitienne, sous Napoléon III. Vénitienne, c’est une blonde rouquine, que j’ai moi-même du mal à imaginer sur le papier. Si je me rends dansla réalité, à la recherche d’une blonde rouquine ou d’un blond rouquin que j’aurais rencontrés, je ne vois personne ; ils sont soit blonds, soit roux, soit auburn. Après, le fait de l’avoir vu copié à plusieurs…
Que faire ? À peu près tous les salons servent pour le Conseil depuis que le PR a déclaré que puisque tous les salons à peu près avaient servi pour le Conseil depuis qu’il y a Conseil, il ne voyait pas pourquoi faire le Conseil toujours dans le même salon et puisque c’était comme ça, c’était la tradition, il changerait de salon chaque semaine afin qu’on ne s’habitue pas, voilà, c’était important qu’on ne s’habitue pas sinon dans un même environnement, en l’occurrence dans un même salon, on avait tendance à prendre les mêmes décisions, ou plutôt à avoir les mêmes…
La littérature est un bon complément pour compenser ce handicap ; ou mieux : la poésie. La condensation et la composition à l’œuvre dans un certain genre de poésie permettent pour ainsi dire l’exposition ( exhibition , en anglais) des capacités de son cerveau. Comment peut-on penser tant de choses à la fois et si bien les compresser, et si bien les ordonner ? se demande-t-on parfois, à la lecture ou à l’audition de poèmes. Quand Baudelaire écrit que « la poésie n’a pas d’autre but qu’elle-même », il veut dire qu’elle n’a d’autre but que celui de me rendre lisibles, c’est-à-dire visibles, les capacités…
Le brouillard était de plus en plus pesant et, même si rien ne retenait nos pas, c’était pénible d’y aller coûte que coûte, de forcer sa marche et ses yeux, à tenter d’y voir quelque chose alors que, si on nous avait posé un bandeau, il n’y aurait pas eu grande différence. Bref, on était fatiguées. Je me souviens qu’un ami cher m’avait parlé, une fois, de la grande fatigue qu’on éprouve à l’approche de la mort ou quand on devient très vieux, puis il m’avait reparlé de cette grande fatigue, plus grande encore que la première fois. En même…
Une jambe. C’est le pied qui bouge d’une jambe. Et là-bas, derrière, une autre jambe. Des formes. C’est comme des collines, un relief de montagnes moyennes vertes, violettes, puis rousses et sans neige jusqu’en avril, quand la dernière poussée d’hiver saupoudre les sommets. Des creux, des vallons d’où l’eau sourd, lapée par les langues des daims, de leurs mères et de leurs pères. Les lichens secs se gorgent le matin pour prendre leur texture caoutchouteuse, céladon à l’intérieur, et noirs. Derrière ce massif rocheux, ces schistes, il y a le squelette d’un ichtyosaure, l’un de ces dauphins préhistoriques qui ne…
Donc, des phrases simples. Pour une raison simple : c’est qu’un terrain, c’est quand on parle, et que l’idée qu’on se fait de la parole, c’est que c’est moins compliqué que l’écrit, et du coup quand on la retranscrit, et qu’on s’aperçoit qu’entre les répétitions, les digressions et les hésitations, c’est incompréhensible, on te nettoie tout ça, on éclaircit, on purifie, pour aboutir à des phrases, je disais, simples, sympathiques – au fond, oui, c’est ça, sympathiques. Des phrases qu’on se verrait bien dire soi-même, illico, la lecture « silencieuse » se doublant d’une lecture à voix haute in petto (on s’entend lire…
Je ne suis pas une intellectuelle engagée. Je suis poète. Je remarque tout ce qui sensiblement me heurte, me capte, m’arrête. Je remarque qu’on a passé une journée de procès à regarder des vidéos, c’est tout. Je n’ai pas de thèse à défendre. Je ne viens pas vérifier ce que je sais déjà, parce que je ne sais rien avant de l’avoir écrit. Je n’ai rien à apprendre à qui que ce soit, ni sur Jeanne d’Arc, ni sur les classes moyennes – sur lesquelles j’ai pourtant écrit deux petits livres parus chez P.O.L. Je crois simplement que ma place…
L’importance des corrections, chez Proust, ne tient pas seulement à son perfectionnisme, ou au fait que, « quelque part », il se sentait incorrect, ou pas assez juste dans sa langue, mais révèle à mon sens un trait de la modernité dont sa syntaxe se saisit dans cette façon d’approcher en spirale, progressivement, son objet, en reculant et en y revenant tour à tour, dans une épanorthose étendue à tout un livre, et qui consiste à reprendre ce qu’on vient de poser pour le reformuler. Il y a aussi comme un filet où se nouent, chez ce roi de la punchline, toutes…
Cette idée lysergique de la liberté est assez éloignée du trio dit « républicain » et de son origine révolutionnaire pour que l’auteur bétonne conceptuellement son écho proustien : « [S’emparer de la perspective], c’est rompre le partage entre ceux qui sont soumis à la nécessité du travail des bras et ceux qui disposent de la liberté du regard. (…) [Cette appropriation esthétique] définit la constitution d’un autre corps qui n’est plus « adapté » au partage policier des places, des fonctions, et des compétences sociales. » Nathalie Quintane Le dernier chorégraphe Ultra-Proust La Fabrique 2018…
Par Histoire, nous entendons les événements qui sont mis en récit (en histoires). On raconte que les récits ou filtrent forment une telle croûte par leur nombre qu’on n’aurait plus accès qu’à cette croûte, et que nous serions tous, tels que nous sommes, pris dans la croûte jusqu’à pourquoi pas être la croûte même. Le vocabulaire plante des points de capiton dans l’épaisseur comme Chemoule plante ses griffes dans ma tête le matin. On ne déleste pas le vocabulaire pour un oui pour un non ; c’est lui qui nous fait ça. Nathalie Quintane Un œil en moins P.O.L 2018 136…
six ans où presque tout ce que j’avais pu faire et dire, seule ou avec d’autres, avait été doublé par la pensée de cet homme, si bien qu’à l’époque le moindre détail était salopé par cette pensée […] une pensée exclusivement concentrée sur un seul sujet, aucun autre sujet et aucun autre objet n’ayant la possibilité de vivre là-dedans plus de cinq secondes ; mon corps intégralement, depuis mes doigts de pied jusqu’à mes cheveux, était rétracté à l’intérieur d’un discours en boucle, c’est-à-dire d’une boucle qui tournait sans interruption même la nuit – je rêvais, c’était lui ; je me levais…
On raconte que sous le Directoire, cette période encore balisée par le calendrier révolutionnaire mais qui n’a plus grand-chose de révolutionnaire et qu’on appelle République à l’époque, Première République, la duchesse de Bourbon, preuve que nous n’avions pas tranché d’avec tous les nobles, a transformé le jardin de l’Élysée en parc d’attractions. Des bals, des jeux, des divertissements, un panorama peut-être, qui est ce vaste paysage en demi cercle ou cercle qui vous surplombe et entoure de manière à ce que vous soyez en immersion, c’est un fait, anthropologique apparemment, mais sans doute un chat dans un jardin inconnu surplombé…
Les anti-rép., eux, sont des artistes ; des artistes dramatiques, par exemple. Ils ne sont pas vêtus en tous-les-jours, ou leur mise est soignée, calculée : le noir et sa symbolique dominent ; c’est aussi une couleur qui affine, mincit, rend élégant. Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé . La capuche qui couvre leur tête et dissimule leur visage leur donne du mystère. Le prince d’Aquitaine à la tour abolie. Les choses qu’ils lancent les changent en danseurs. Ma seule étoile est morte. Les gestes qu’ils font appartiennent à une chorégraphie répertoriée, photographiée, archivée, montrée dans les musées. Et mon luth constellé.…
Il est possible que l’habileté et la bonne humeur du nouveau gouvernement quel que soit le nouveau gouvernement, à condition qu’il soit cauteleux et assuré, forme enfin un adversaire compact et lisible, parce qu’il vient après les autres qui nous ont fatigués, parce qu’il parade sans retenue mais sans arrogance spéciale, n’ayant jamais à vaincre puisque toujours gagnant, et parce que de mémoire, qui n’est pas une mémoire d’homme, il n’a plus souvenir d’avoir vu ni entendu pour de vrai ces gens dont il pense que tant qu’ils auront des kebabs ils ne se révolteront pas. De fait, le motif…
Tant que les écrivains français ne s’auto-provinçialiseront pas, et tant que la France ne sera pas sa propre province et celle de tous les autres pays, nous ne pourrons nous sauver de cette sorte particulière de bêtise que nous nommons l’intelligence. Nathalie Quintane Le dernier chorégraphe Ultra-Proust P.O.L 2018…
Le « travail de la langue » est une chose absurde quand on ne comprend pas qu’il ne se réduit pas à lui-même comme objet d’auto-contemplation ; ou plutôt, quand on l’a oublié. Baudelaire n’a pas écrit les Petits Poèmes en Prose pour « révolutionner le langage poétique » et coiffer Gautier au poteau ; la rage contenue qu’il y met, y compris à l’égard de lui-même, prouve assez qu’il entendait littéralement faire déchanter le second Empire. Nathalie Quintane Pain d’épice Ultra-Proust P.O.L 2018…
Peut-on écrire sans protocole ? Peut-on d’ailleurs manger sans protocole ? Se balader dans une ville sans protocole et sans qu’on vous donne un sandwich quand vous êtes noir ? N’importe quoi, peut-être, mais pas n’importe comment. Nathalie Quintane Un œil en moins P.O.L 2018 305…
Quelque chose a pris de mars à juin, c’est indéniable, je m’en souviens – car deux mois de plus ont suffi à donner à ce tiers de l’année le tour incertain du souvenir et de la « littérature ». C’est ce qui lave le mieux l’intensité politique, me dis-je en septembre, mois des romans et d’une panique légère à la perspective de ne pas y arriver (tout faire dans les temps). Nathalie Quintane Un œil en moins P.O.L 2028 138…
Que des gênés aux entournures, et pas des révolutionnaires patentés, puissent à la fois foutre le zbeul et calculer leur rage, gérer un biz et calligraphier de la banderole, livrer des pizzas tout habillés de noir, covoiturer pour trente euros et faire des molotov (etc.), c’est une perspective. Nathalie Quintane Un œil en moins P.O.L 2018 119…
en France, pays où chacun-chacune est ponctuellement capable de se changer en Compagnie républicaine de Sécurité le cas échéant, si besoin est, à l’occasion Nathalie Quintane Un œil en moins P.O.L 2018 119 0…