Lorsque je parle de « l’allemand », je désigne la langue allemande, non pas dans sa diversité dialectale, mais en tant que langue codifiée, soustraite en quelque sorte à la communauté immédiate. J’évoque en réalité ce que l’ont appelle le « Hochdeutsch », cette langue qui, pour être parlée, suppose que les locuteurs soient libérés de la contingence des affects. S’il est évidemment toujours possible de recréer dans cette langue les conditions de l’expression affective, cela passe uniquement par la littérature, si bien que l’allemand se présente sous une forme très stratifiée. On a tout d’abord affaire à un idiome très souvent régional, qui…
Benjamin (dans La Tâche du traducteur, ndm) dit qu’il est impossible de traduire le contenu – c’est-à-dire le signifié – d’une langue à l’autre, parce que dans ce cas on réduit la particularité de la langue à quelque chose d’universel et d’abstrait. Brot en allemand, ce n’est pas « pain », voilà la difficulté. Brot a une tout autre forme empirique en allemand : ça se mangue autrement, ça s’associe à d’autres situations que ce que le mot « pain » évoque dans le contexte culturel français. Ce qui fait que traduire Bort par « pain », c’est trahir quelque chose que Brot évoque. Donc quand Hölderlin…
Pour résumer, je vois donc trois étapes. La première, c’est soit Pindare, soit Archiloque. La deuxième : Pindare et Archiloque – Heine, donc. Et la troisième : un au-delà de Pindare et d’Archiloque, quelque chose qui évoque la possibilité de l’une et l’autre poésie à travers leur absence, qui est structurée par l’effort poétique. Comme si le poème conjurait une chose perdue, une chose absente qui ne peut, sans être profanée, sans être mésusée, être évoquée que de cette manière négative et ne pourra plus jamais être positivement revendiquée. Celan ne peut pratiquer l’éloge comme le fait Rilke, c’est impossible dans cette…
Lorsque j’évoque la liberté réflexive distinguant un enracinement illusoire et un déracinement relatif, j’oppose un monde structuré par la figure du père, qui dicte l’identité et a vocation à l’incarner exemplairement, à un univers de frères. La liberté, au sens étymologique, participe en français de la relation du pater familias à ses fils ; on n’est libre que dans la mesure où le père nous protège. Le terme allemand de Freiheit provient du lien d’amitié noué entre frères qui, en cas de guerre, s’enchaînaient et se ruaient ainsi sur les légions romaines. Chacun était le garant de l’autre, mais tous signifiaient…