La nature est devant nous comme un ensemble de hié­ro­glyphes. Tout depuis les atomes jus­qu’aux astres forme un tableau des pas­sions humaines, un tableau hié­ro­gly­phique qui livre d’au­tant plus de signi­fi­ca­tions et peut-être d’in­ten­tions que nous savons mieux regar­der. Le voile d’ai­rain n’est que pour les aveugles. Toutes les formes natu­relles révèlent leur secret si on les inter­roge libre­ment, si on ne met pas d’a­bord la nature en pri­son sous des lois abs­traites et trop simples.

Le nou­veau monde amou­reux [1816]
chap. 11 : Hiéroglyphes
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Texte de Benjamin sur le poreux napo­li­tain dans les Denkbilder

Seine Privatexistenz ist die barocke Ausmündung ges­tei­ger­ter Öffentlichkeit.
« Son exis­tence pri­vée est l’es­tuaire baroque d’une vie publique inten­si­fiée. »
Suit la com­pa­rai­son avec le vil­lage hot­ten­tot :
Ausgeteilt, porös und durch­setzt ist das Privatleben. Was Neapel von allen Großstädten unter­schei­det, das hat es mit dem Hottentottenkral gemein : jede pri­vate Haltung und Verrichtung wird dur­ch­flu­tet von Strömen des Gemeinschaftslebens. Existieren, für den Nordeuropäer die pri­va­teste Angelegenheit, ist hier wie im Hottentottenkral Kollektivsache.
(“Distribuée, poreuse et mêlée est la vie pri­vée. Ce qui dif­fé­ren­cie Naples de toutes les grandes villes a à voir avec le kral hot­ten­tot : toute atti­tude et tâche pri­vée se trouve inondée/traversée par le cou­rant de la vie com­mu­nau­taire.”)
Puis : “Le domes­tique n’est plus un asile ; c’est un inépui­sable réser­voir d’où l’on jaillit en masse.” Évidemment, c’est aus­si une tar­tine de fan­tasmes, les fan­tasmes d’al­le­mand sur la vita­li­té ita­lienne, sa nata­li­té débri­dée (pure de tout nata­lisme), la déter­mi­na­tion par le « grand sud », la chatte lit­to­rale (le bor­dé débor­dant, ce qui « débouche », sens lit­té­ral de Ausmündung), l’or­gasme estuaire las­cif indis­con­ti­nu etc.
Et encore ses réflexions sur Baudelaire, notam­ment la réver­si­bi­li­té du pri­vé et du public, du par­ti­cu­lier et du col­lec­tif. L’étude des Foules et de La Solitude.
« Ce que les hommes nomment amour est bien petit, bien res­treint et bien faible, com­pa­ré à cette inef­fable orgie, à cette sainte pros­ti­tu­tion de l’âme qui se donne toute entière, poé­sie et cha­ri­té, à l’im­pré­vu qui se montre, à l’in­con­nu qui passe  » (Les Foules)
Dans la soli­tude, les moments pas­ca­liens du res­sen­ti­ment bau­de­lai­rien tentent : « tous ces affo­lés qui cherchent le bon­heur dans le mou­ve­ment et dans une pros­ti­tu­tion que je pour­rais appe­ler fra­ter­ni­taire, si je vou­lais par­ler la belle langue de mon siècle. » Et dans Les foules, moment inverse, reverse : « Celui-là qui épouse faci­le­ment la foule connaît des jouis­sances fié­vreuses, dont seront éter­nel­le­ment pri­vés l’égoïste, fer­mé comme un coffre, et le pares­seux, inter­né comme un mol­lusque. » [https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Foules] Et la convertibilité/réversibilité :
« Multitude, soli­tude : termes égaux et conver­tibles pour le poëte actif et fécond. Qui ne sait pas peu­pler sa soli­tude, ne sait pas non plus être seul dans une foule affai­rée. »

Denkbilder
sur Naples lien baudelaire benjamin convertibilité foules intérieur/extérieur littoral naples privé/public réversibilité solitudes

Toute opé­ra­tion salu­taire que pro­duit un écrit, et même toute opé­ra­tion qui n’est pas dans sa nature pro­fonde dévas­ta­trice, est fon­dée sur son mys­tère (celui du mot, celui du lan­gage). Si variées que soient les formes selon les­quelles le lan­gage peut se mon­trer effi­cace, il ne l’est pas en com­mu­ni­quant des conte­nus, mais en pro­dui­sant au jour de la manière la plus lim­pide sa digni­té et sa sub­stance. Et si je fais ici abs­trac­tion d’autres formes d’ef­fi­ca­ci­té que la poé­sie et la pro­phé­tie, je reviens tou­jours à cette idée qu’é­li­mi­ner l’in­di­cible de notre lan­gage jus­qu’à le rendre pur comme un cris­tal est la forme qui nous est don­née et qui est la plus acces­sible pour agir à l’in­té­rieur du lan­gage et, dans cette mesure, par lui : cette éli­mi­na­tion de l’in­di­cible me semble jus­te­ment coïn­ci­der avec un style d’é­cri­ture sobre et pro­pre­ment objec­tif et indi­quer, à l’in­té­rieur même de la magie qui de l’ordre même du lan­gage, la rela­tion qui existe entre connais­sance et action.
[…] Je ne crois pas que le mot, où que ce soit, soit plus éloi­gné du divin que l’ac­tion humaine « effec­tive », et non plus qu’il soit apte à conduire au divin autre­ment que par lui-même, en sa qua­li­té la plus pure. Quand il devient moyen (als Mittel), il pro­li­fère.

Œuvres
t. 1 1910–1918
Aubier
p. 117–118
action adorno benjamin connaissance efficacité inaction magie moyen tout-dire/rien-dire wittgenstein

Grade die schwächs­ten Leistungen der Kunst bezie­hen sich auf das unmit­tel­bare Gefühl des Lebens, die stärks­ten aber, ihrer Wahrheit nach, auf eine dem Mythischen ver­wandte Sphäre : das Gedichtete. Das Leben ist all­ge­mein das Gedichtete der Gedichte — so ließe sich sagen ; doch je unver­wan­del­ter der Dichter die Lebenseinheit zur Kunsteinheit über­zufüh­ren sucht, des­to mehr erweist er sich als Stümper. Diese Stümperei als »unmit­tel­bares Lebensgefühl«, »Herzenswärme«, als »Gemüt« ver­tei­digt, ja gefor­dert zu fin­den, sind wir gewohnt.
Trad 1 : Les plus faibles pro­duc­tions de l’art ren­voient au sen­ti­ment immé­diat de la vie, tan­dis que les plus fortes, selon leur véri­té, à une sphère parente de l’élément mythique : le poé­ma­tique. Le vivant est com­mu­né­ment le poé­ma­tique des poèmes – pour­rait-on dire ; cepen­dant plus le poète s’efforce de trans­po­ser la viva­bi­li­té en artis­ti­sable, plus il est un bou­silleur. Ce bou­sillage nous avons l’habitude de le récla­mer et de le défendre comme « vivant immé­diat », « cha­leur du cœur », « vigueur ».
Trad 2 : Le noyau poé­tique se révèle donc comme pas­sage de l’u­ni­té fonc­tion­nelle de la vie á celle du poème. En lui la vie se déter­mine par le poème, la tâche par la solu­tion. Le fon­de­ment n’est pas la tona­li­té indi­vi­duelle qui enve­loppe la vie de l’ar­tiste, mais un hori­zon de vie déter­mi­né par l’art. Les caté­go­ries dans les­quelles il est pos­sible d’ap­pré­hen­der cette sphère, la sphère du pas­sage entre les deux uni­tés fonc­tion­nelles, ne sont pas for­mée d’a­vance, et s’ap­puient peut-être en pre­mier lieu sur les concepts du mythe. Ce sont pré­ci­sé­ment les plus faibles pro­duc­tions de l’art qui se réfèrent au sen­ti­ment immé­diat de la vie, tan­dis que les plus puis­santes, selon leur véri­té, ren­voient à une sphère parente de l’élé­ment mythique : au noyau poé­tique. La vie, pour­rait-on dire, est glo­ba­le­ment le noyau poé­tique des poèmes ; pour­tant, plus le poète s’ef­force de trans­po­ser telle quelle l’u­ni­té de vie en uni­té artis­tique, plus il se révèle un bou­silleur. Ce bou­sillage, nous sommes accou­tu­més à le voir défen­du, voire récla­mé, comme « sen­ti­ment immé­diat de la vie », « cha­leur du cœur », « pro­fon­deur d’âme ».

« Deux poèmes de Friedrich Hölderlin »
Œuvres [1914]
t. 1
Folio 2000
p. 91sv.
benjamin bousilleur Dichter/Stümper gedichtete gemüt hölderlin poématique poème sagouin tâcheron/missionneur vitalisme

Selon Benjamin, Freud esti­me­rait que la sexua­li­té est vouée à dépé­rir un jour. Notre bour­geoi­sie estime repré­sen­ter l’hu­ma­ni­té. Lorsque l’a­ris­to­cra­tie per­dit la tête, elle gar­da au moins sa queue. La bour­geoi­sie, pour sa part, a réus­si à rui­ner jus­qu’à la sexua­li­té. Je suis en train d’ai­der Ruth à ter­mi­ner un volume de nou­velles inti­tu­lé TOUT ANIMAL PEUT. 70% des femmes seraient fri­gides. Nous tenons de bons titres (HATE EST LE NOM DU VENT, qui fait chu­ter l’é­cha­fau­dage. TOUS LES CHEVAUX DU ROI ET TOUS LES HOMMES DU ROI. Puis SERVICE etc.) Improductivité de la tech­nique. L’orgasme comme coup de chance. [der orgas­mus als glücks­fall]

Journal de tra­vail
L’arche 1976
p. 18
13.8.38 benjamin bourgeoisie chance freud orgasme sexualité