Tous les malentendus au sujet du Bloom tiennent à la profondeur du regard avec lequel on s’autorise à le dévisager. En tout état de cause, la palme de la cécité revient aux sociologues qui tels Castoriadis parlent de « repli sur la sphère privée » sans préciser que cette sphère a elle-même été entièrement socialisée. À l’autre extrême, nous trouvons ceux qui se sont laissés aller jusque dans le Bloom. Les récits qu’ils en ramènent s’apparentent tous, d’une manière ou d’une autre, à l’expérience du narrateur de Monsieur Teste découvrant le « chez-soi » de son personnage : « Je n’ai jamais eu plus fortement l’impression du quelconque. C’était un logis quelconque, analogue au point quelconque des théorèmes – et peut-être aussi utile. Mon hôte existait dans l’intérieur le plus général. » Le Bloom est bien cet être qui existe « dans l’intérieur le plus général ».
Étiquette : privé/public
Texte de Benjamin sur le poreux napolitain dans les Denkbilder
Seine Privatexistenz ist die barocke Ausmündung gesteigerter Öffentlichkeit.
« Son existence privée est l’estuaire baroque d’une vie publique intensifiée. »
Suit la comparaison avec le village hottentot :
Ausgeteilt, porös und durchsetzt ist das Privatleben. Was Neapel von allen Großstädten unterscheidet, das hat es mit dem Hottentottenkral gemein : jede private Haltung und Verrichtung wird durchflutet von Strömen des Gemeinschaftslebens. Existieren, für den Nordeuropäer die privateste Angelegenheit, ist hier wie im Hottentottenkral Kollektivsache.
(“Distribuée, poreuse et mêlée est la vie privée. Ce qui différencie Naples de toutes les grandes villes a à voir avec le kral hottentot : toute attitude et tâche privée se trouve inondée/traversée par le courant de la vie communautaire.”)
Puis : “Le domestique n’est plus un asile ; c’est un inépuisable réservoir d’où l’on jaillit en masse.” Évidemment, c’est aussi une tartine de fantasmes, les fantasmes d’allemand sur la vitalité italienne, sa natalité débridée (pure de tout natalisme), la détermination par le « grand sud », la chatte littorale (le bordé débordant, ce qui « débouche », sens littéral de Ausmündung), l’orgasme estuaire lascif indiscontinu etc.
Et encore ses réflexions sur Baudelaire, notamment la réversibilité du privé et du public, du particulier et du collectif. L’étude des Foules et de La Solitude.
« Ce que les hommes nomment amour est bien petit, bien restreint et bien faible, comparé à cette ineffable orgie, à cette sainte prostitution de l’âme qui se donne toute entière, poésie et charité, à l’imprévu qui se montre, à l’inconnu qui passe » (Les Foules)
Dans la solitude, les moments pascaliens du ressentiment baudelairien tentent : « tous ces affolés qui cherchent le bonheur dans le mouvement et dans une prostitution que je pourrais appeler fraternitaire, si je voulais parler la belle langue de mon siècle. » Et dans Les foules, moment inverse, reverse : « Celui-là qui épouse facilement la foule connaît des jouissances fiévreuses, dont seront éternellement privés l’égoïste, fermé comme un coffre, et le paresseux, interné comme un mollusque. » [https://fr.wikisource.org/wiki/Les_Foules]
Et la convertibilité/réversibilité :
« Multitude, solitude : termes égaux et convertibles pour le poëte actif et fécond. Qui ne sait pas peupler sa solitude, ne sait pas non plus être seul dans une foule affairée. »
Dans l’Antiquité, la conception ontologique de l’art, dont date l’esthétique des genres, allait de pair avec un pragmatisme esthétique, ce qui n’est plus réalisable aujourd’hui. Chez Platon, l’art est, comme l’ont sait, toujours évalué par un regard soupçonneux en fonction de son utilité politique présumée. L’esthétique aristotélicienne restait une esthétique de l’effet ; elle est cependant humanisée dans un esprit bourgeois éclairé dans la mesure où elle recherchait l’effet de l’art dans les émotions de l’individu, conformément aux tendances helléniques de la privatisation. Il se peut que les effets postulés par les deux étaient déjà une illusion à l’époque. Néanmoins, l’alliance de l’esthétique des genres et du pragmatisme n’est pas si absurde qu’elle apparaît à première vue. Le conventionnalisme latent à toute ontologie put, très tôt, s’arranger avec le pragmatisme comme détermination universelle des fins ; le principe d’individuation n’est pas seulement opposé aux genres, mais également à la subsomption sous une pratique directement dominante. L’immersion dans l’oeuvre particulière, contraire aux genres, conduit à sa légalité immanente. Les œuvres deviennent des monades ; cela les écarte de l’effet disciplinaire dirigé vers l’extérieur. Si la discipline des œuvres, qu’elles exerçaient ou soutenaient, devient leur propre légalité, elles perdent leur caractère autoritaire et fruste vis-à-vis des hommes. L’état d’esprit autoritaire et l’insistance sur des genres aussi purs que possible vont très bien ensemble ; la concrétion non-réglementée apparaît souillée et impure à la pensée autoritaire ; la théorie de la Personnalité autoritaire a caractérisé de phénomène comme « intolérance à l’ambiguïté » ; elle est évidente dans tout art et dans toute société hiérarchique.
In der Antike ging die ontologische Ansicht von der Kunst, auf welche die der Gattungsästhetik zurückdatiert, auf eine kaum mehr nachvollziehbare Weise mit ästhetischem Pragmatismus zusammen. Bei Platon wird Kunst, wie man weiß, mit schelem Blick je nach ihrer präsumtiven staatspolitischen Nützlichkeit bewertet. Die Aristotelische Ästhetik blieb eine der Wirkung, freilich bürgerlich aufgeklärter und humanisiert insofern, als sie die Wirkung der Kunst in den Affekten der Einzelnen aufsucht, gemäß den hellenistischen Privatisierungstendenzen. Die von beiden postulierten Wirkungen mögen schon damals fiktiv gewesen sein. Gleichwohl ist die Allianz von Gattungsästhetik und Pragmatismus nicht so widersinnig wie auf den ersten Blick. Früh bereits mochte der in aller Ontologie lauernde Konventionalismus mit dem Pragmatismus als allgemeiner Zweckbestimmung sich arrangieren ; das principium individuationis ist nicht nur den Gattungen sondern auch der Subsumtion unter die gerade herrschende Praxis entgegen. Die den Gattungen konträre Versenkung ins Einzelwerk führt auf dessen immanente Gesetzlichkeit. Die Werke werden Monaden ; das zieht sie von dem nach außen gerichteten disziplinären Effekt ab. Wird die Disziplin der Werke, die sie ausübten oder stützten, zu ihrer eigenen Gesetzmäßigkeit, so büßen sie ihre krud autoritären Züge den Menschen gegenüber ein. Autoritäre Gesinnung und Nachdruck auf möglichst reinen und unvermischten Gattungen vertragen sich gut ; unreglementierte Konkretion erscheint autoritärem Denken befleckt, unrein ; die Theorie der »Authoritarian Personality« hat das als intolerance of ambiguity vermerkt, sie ist in aller hierarchischen Kunst und Gesellschaft unverkennbar.
Naguère, alors qu’il existait encore quelque chose comme une séparation entre profession et vie privée – ce qui a été dénoncé comme une aliénation bourgeoise, qu’on en viendrait maintenant presque à regretter – celui qui se servait de la vie privée pour parvenir à ses fins faisait figure de goujat importun, que l’on considérait avec la plus grande méfiance. Aujourd’hui, c’est celui qui tient à sa vie privée, sans y laisser paraître de visée utilitaire, qui n’est pas dans la note et semble faire preuve d’arrogance. Celui qui ne demande rien est presque suspect : on n’arrive pas à croire qu’il puisse aider quelqu’un à prendre sa part du gâteau sans s’y autoriser en demandant quelque chose en échange. Il y en a beaucoup qui font leur profession d’un état résultant de la liquidation de leur profession. Ce sont des gens bien gentils, qu’on aime bien et qui sont l’ami de tout le monde ; ce sont des justes qui, très humainement, excusent toutes les bassesses et, sans faiblir, proscrivent comme sentimentale toute réaction qui n’est pas dans la norme.
La période qui a débuté depuis que la croûte terrestre fut acculée aux qualifications de privé et public, veut que les instances de pouvoir désignées gèrent non plus seulement le partage du territoire mais aussi la disposition du bâti. Et pour légitimer leur démarche, nous les voyons se munir de tout l’attirail idéologique de la domination marchande : confort, esthétismes et sécurité. Les grilles d’analyse ici agitées semblent moins servir la réalisation de la fable que sous-entend ce credo que chercher à imposer, comme on imposerait un changement de devise monétaire, le change de la convivialité contre la satisfaction d’être « intégré », établissant ainsi une équivalence de principe entre surveillance policière et menace de la dissolution du foyer. C’est qu’une certaine législation voudrait que ceux qui s’organisent et expérimentent, entre autre, l’hospitalité sans concession soient obligés de se mesurer à la répression policière et judiciaire tandis que ceux qui gagnent leur vie et réussissent doivent se montrer aussi méritants et dignes qu’un chien de cirque se montre agile dans la réitération de son numéro. Cette dualité – bien que navrante composante du discours qui voudrait asseoir comme réalité territoriale la fable sociale (essayant de nous convaincre qu’une carte est le territoire) – trouve son fondement en un fait simple : le milieu matériel et territorial, dont le bâti est une constituante, est déterminant quant aux potentialités relationnelles de chaque être. Fiers de cet enseignement et véhicules du discours à la mode sur l’identité de la carte et du territoire, nombre d’architectes et de « collectivités locales » privilégient l’isolement (dé)responsabilisant de la maison individuelle et favorisent ainsi, comme perspective répressive, la honte d’être indigne des conditions de vie permises par les biens concédés.
La fable sociale, par souci de maintien, agite le vieil épouvantail de l’intranquillité sociale, évoquant son souvenir et ses dites résurgences, et déplace celui-ci vers un masque de discours portant sur la gestion de la subjectivité et de son environnement direct.
De son côté le territoire, par nature incapable de crédulité, continue d’évoluer sans que ce type d’initiative ne puisse totalement l’entraver.