22 04 14

Le logiciel poétique postromantique

(…) le chercheur le plus loyal à l’égard de l’esthétique sera de manière négative celui qui se révolte contre le langage et qui, au lieu de rabaisser la parole au rang de simple paraphrase de ses chiffres, lui préfère le graphique, qui confesse sans réserve la réification de la conscience et trouve ainsi pour l’exprimer quelque chose comme une forme, sans emprunts apologétiques à l’art. (Adorno, L’essai comme forme)

Voici un diagramme du logiciel poétique postromantique. Par jeu, il prend comme contrainte l’utilisation d’un max d’icônes d’iO7, c’est dire si c’est inutile pour penser quoi que ce soit.

 

L’article défini devant les 5 figures (le poète, le primitif, le mystique, le fou, le enfant) désigne une idéalisation forcenée. La matrice centrale s’appelle « expérience ».

J’ai eu besoin de ce diagramme, non pas tant pour cartographier que pour obtenir une vue d’ensemble sur cette représentation qui semble avoir été majoritaire jusque dans les années 50 chez les théoriciens pas purement littéraires de la poésie (sociologues, anthropologues, philosophes, ethnologues…), avant que le logiciel heideggerien ne prenne le relais. Je vois dans le recours de non-spécialistes à ces figures l’indice de leur ancrage profond dans la conscience européenne.

Cette représentation « du poète » m’intéresse surtout en ce qu’elle manifeste une idéalisation de l’effacement social (figures ascétiques, marginales, imperverties…) et encourage des postures qui, elles, sont extrêmement performantes dans l’espace social : ainsi on aime l’enfant, le primitif, le fou ou le mystique quand il est pris en charge par une synthèse inoffensive et vaguement somptuaire ; on le corrige quand il exprime une sauvageté/sauvagerie antisociale.

C’est mon premier schéma, il est donc 1) moche, 2) incomplet dans ses articulations. Idéalement, il faudrait que chaque item gravite autour d’une figure (le fou, le mystique, le primitif, le enfant) et que les items les plus communs intègrent deux, trois, voire quatre orbites (la « spontanéité » prélogique est par exemple un lieu commun des représentations essentialistes du primitif comme de l’enfant ; elle est présente, marginale voire insignifiante, dans la figure du « fou » et elle n’appartient pas a priori à l’univers supposément sophistiqué du mystique ; spontanéité retrouverait donc dans l’orbite du primitif l’item « authenticité », avec lequel elle partage souvent l’illusion d’une transparence à soi menacée par la conceptualité, etc.).

À cela on peut ajouter une liste d’auteurs qui ont opéré des rapprochements entre la figure « du » poète et au moins une des quatre figures orbitales (le paradigme postromantique est surtout le fait de théoriciens – d’anthropologues notamment): Vico, Jochmann, Renéville, Piaget, Jousse, Janet, Lévy-Bruhl, Bachelard, Mauss, Bataille… entre beaucoup d’autres (Lévi-Strauss, lui, règle son compte au rapprochement primitif – enfant dans le chapitre sur « l’illusion archaïque » in Les Structures élémentaires de la parenté).

Je précise que ce diagramme représente à peu près exactement tout ce qui m’ennuie (créativité, authenticité, lune, thé etc.). Par ailleurs, pour raisons personnelles, je cherche des conseils pour apprendre à discerner la grâce de la déréliction.