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Testa non pertinente

Testa non pertinente, littéralement « tête non pertinente » (dans le sens de « non congruente »), est une indication muséographique qu’on trouve sur certaines statues en Italie. Elle signifie que, sur une statue, la tête n’est pas d’origine. La pratique qui consistait à permuter les têtes des statues a eu cours de l’époque romaine impériale jusqu’à la Renaissance dans la région. Pline L’Ancien atteste de sa contemporanéité dans son Histoire Naturelle.

Au début du livre XXXV sur la peinture, il donne à penser la reproduction en des termes où seule est légitime la ressemblance par génération ou par transmission (le verbe tradere, qui donne tradition), garante de la pérennité de l’institution gentilice. Illégitime est pour lui la ressemblance par permutation (du verbe permutare), qui fout le bordel dans la loi naturelle et met en danger l’institution juridique 1.

Parmi des récriminations à l’endroit du contemporain, on trouve mention de cette pratique à la fois bourgeoise et vandale, qui brouille la correspondance têtes-toges garante des lignées :

Imaginum quidem pictura, qua maxime similes in aevum propagabantur figurae, in totum exolevit. Aerei ponuntur clipei argentea facie, surdo figurarum discrimine ; statuarum capita permutantur […] Aliter apud maiores in atriis haec erant, quae spectarentur ; non signa externorum artificum nec aera aut marmora : expressi cera vultus singulis disponebantur armariis, ut essent imagines, quae comitarentur gentilicia funera, semperque defuncto aliquo totus aderat familiae eius qui umquam fuerat populus. Stemmata vero lineis discurrebant ad imagines pictas.

 

La peinture de portraits, qui assurait entre générations la transmission de l’image parfaitement ressemblante des figures, est tombée en désuétude. On fait désormais des écussons en bronze, des effigies en argent : insensible à la différence des figures, on permute les têtes des statues […] Du temps de nos ancêtres, on n’étalait pas dans les atriums des statues d’étrangers, des bronzes ou des marbres ; les bustes en cire avaient chacun leur niche, images toujours à même d’accompagner les obsèques familiales, et un mort pouvait être sûr de se voir cortégé par tous ses ascendants.

Par conséquent les statues représentées ci-dessous sont des créatures. Viles, impures parce qu’elles abusent des ressemblances. Elles sont le résultat de permutations qui déjà donc semblaient devoir faire regretter que tout finisse par se valoir : art, déco, design, barbe cale-portes, bestiole de péristyle, sofa d’orgies, tous tout oublieux de leur principe, la dignité (l’ordre historique des lignées).

Dans l’ordre : jolie divinité fluviale ouvrante ; lion de fontaine attendrissant, posant comme un mythe – l’hybridité n’est pas toujours infamante – mais se sachant bestiole ; suit un chasseur difforme ; un poète en toge ; une double peine (tête remplacée, génitales biffées) ; en clôture, LA beauté vertigineuse du genre : une tête non pertinente portant deux têtes d’origine…

Arte_romana,_divinità_fluviale_(testa_non_pertinente),_II-I_sec._ac Lionarsenal_2_082005  Statua_di_cacciatore,_testa_non_pertinente_con_ritratto_di_età_antonina_inv._2294 Sofocle,_copia_romana_da_originale_greco_con_testa_non_pertinente,_inv._2242 klnsdf  6c5c0b0d6192ae293d42377266862852

  1. Je ne fais ici que résumer le développement de Didi-Huberman dans Devant le temps (pp 69 & ssq).